Génétique et Recombinaison

 

 

 

Le projet scientifique conduit par l’équipe « Génétique et Recombinaison (GeCO) » a pour objectif de fournir des solutions innovantes pour accélérer la production de nouvelles variétés de blé montrant une productivité améliorée tout en répondant aux enjeux d’une agriculture durable moins gourmande en intrants (pesticides, engrais, eau) et au défi dû au changement climatique (plus de sécheresses et de fortes températures). L’approche consiste à explorer les possibilités offertes par les ressources génétiques exotiques (landraces, blés synthétiques) ou les espèces apparentées sauvages ou cultivées. Pour y parvenir, deux axes de recherche sont conduits : (Axe 1) l’étude du contrôle des croisements interspécifiques avec comme modèle l’incompatibilité des croisements entre le blé et le seigle ; (Axe 2) l’apprentissage de la maîtrise de la recombinaison homologue et homéologue.

La stratégie d’exploitation des ressources génétiques apparentées pour l’introduction d’une diversité originale et performante pour des caractères d’intérêt agronomique repose sur la création d’hybrides entre variétés élites de blé et variétés exotiques, voire espèces apparentées sauvages ou cultivées. La réalisation de ces croisements se heurte régulièrement à trois écueils : (1) ils doivent donner une descendance (graines) ; (2) cette descendance doit être viable ; (3) elle doit également montrer un certain niveau de fertilité. En ce qui nous concerne, nous avons décidé de choisir comme modèle les croisements entre le blé et le seigle qui sont à l’origine des Triticales (X Triticosecale).

 

Des études de génétique classique conduites depuis trente ans dans l’Unité ont montré que le gène majeur (appelé SKr) contrôlant l’incompatibilité entre le blé et le seigle était localisé sur le bras court du chromosome 5B [1]. Des démarches successives de cartographie fine du locus ont permis de restreindre l’intervalle à quelques centimorgans et à quelques mégabases [2,3]. Un nouvel effort de séquençage et de génotypage à haute densité nous a permis de réduire encore la taille du locus et d’aboutir au clonage du gène SKr (ORF ; Figure 1).

Figure 1 : Analyse comparative de la séquence du locus SKr entre Chinese Spring (en haut ; compatible) et Courtot (en bas ; incompatible). Les blocs de couleur marron et vert représentent les éléments transposables. Les gènes sont indiqués par des traits rouges agrémentés d’une flèche pour indiquer le sens de transcription. Le bloc de deux gènes (800 et ORF) qui diffèrent entre les deux variétés est encadré. (courtoisie F CHOULET).

 

Dans le cadre d’une collaboration avec l’équipe de Shun SAKUMA (Université de Tottori, Japon), nous sommes en train de peaufiner nos données (expression, localisation cellulaire, etc.) et nous espérons pouvoir publier nos résultats rapidement. (Thèse A BACON ; Projet COMPACT.

 

[1] Tixier et al. (1998) Theor Appl Genet 97: 1076-1082

[2] Lamoureux et al. (2002) Theor Appl Genet 105: 759-765

[3] Alfares et al. (2009) Genetics 183: 469-481

La recombinaison méiotique (ou crossover, CO) est au cœur de la création de nouvelles variétés car elle permet le brassage des allèles dans la descendance ainsi que l’introduction d’une diversité originale et performante issue des ressources génétiques.

 

La recombinaison méiotique est un phénomène rare (en général 2 CO par paire de chromosomes homologue et par méiose [1]) et distribué seulement distalement chez le blé (80% des CO dans seulement 20% du génome [2] ; Figure 1) ce qui réduit considérablement le brassage des gènes localisés dans les régions péri-centromériques soit environ 50% des gènes du blé. Il y a donc nécessité à la fois à augmenter le taux de CO et à modifier leur distribution le long des chromosomes.

Figure 1 : Distribution du taux de recombinaison (cM/Mb) le long du chromosome 3B du blé tendre. Les zones recombinogènes R1 et R3 sont représentées par des blocs bleu et vert, les zones péri-centromériques peu recombinogènes (R2a et R2b) en jaune et la région centromérique (RC) en orange.

[1] Saintenac et al. (2009) Genetics 181: 393-403

[2] Choulet et al. (2014) Science 345 (6194): 1249721

 

Parmi les gènes connus comme améliorant le taux de recombinaison, RecQ4 codant une protéine hélicase semble celui ayant l’effet le plus fort et le plus universel parmi les plantes d’intérêt et ce, sans générer de perte de fertilité. Nous avons développé une série de mutants pour le gène TaRecQ4 et nous avons évalué leur comportement méiotique [1]. De façon inattendue, le triple mutant ainsi que le double mutant pour les copies A et D sont fortement stériles et montrent une perte importante de viabilité de leur pollen (Figure 1). Les copies A et D sont toutes deux fonctionnelles alors que la copie B est inactive, probablement à cause d’un seul SNP induisant un changement Thréonine>Alanine à la position 539 (T539A) de la protéine, juste au niveau du domaine hélicase (ATP bind/DEAD/ResIII) qui permet de dérouler les acides nucléiques. De façon intéressante, les mutants montrent également un taux très élevé de multivalents ce qui suggère que TaRecQ4 pourrait aussi jouer un rôle dans le contrôle de la recombinaison entre chromosomes apparentés. Il semble donc intéressant de poursuivre les investigations sur l’effet de la mutation de ce gène pour améliorer à la fois la recombinaison homologue et homéologue (Projet MeMoiRE lien ; Thèse K MURRELL ; collaboration C LAMBING, Rothamsted Research, UK

Figure 1 : Nombre moyen de grains par épi pour la variété Renan sauvage (WT), pour les individus avec une copie de TaRecQ4 à l’état hétérozygote (Aabbdd, aaBbdd, aabbDd) et pour le triple mutant TaRecQ4 (aabbdd). Un minimum de trois épis par individu est analysé. * = p < 0.05, *** = p < 0.001.

[1] Bazile et al. (2024) Front. Plant Sci. 14:1342976

 

Lors de la méiose, les deux chromatides sœurs s’organisent en boucles régulières autour d’une structure protéique, l’élément axial (EA) dont l’un des composants essentiels est la protéine ASY1 (ASYNAPTIC 1). Dans le cadre d’une collaboration avec l’Université de Leicester (UK ; J HIGGINS), nous avons étudié l’effet de la mutation du gène Asy1 chez le blé dur tétraploïde et le blé tendre hexaploïde [1].

Chez le blé dur, la mutation des deux copies Ttasy1-A et Ttasy1-B induit une réduction du nombre de crossovers de façon dosage-dépendante. Ainsi, lorsqu’une seule des quatre copies est fonctionnelle, les CO distaux sont maintenus au détriment des CO péri-centromériques (Figure 1) ce qui suggère que la protéine ASY1 est requise pour favoriser la formation des CO dans des zones éloignées des télomères. Ces mutants montrent également un taux de multivalents anormalement élevé. Ce résultat est confirmé chez des hybrides interspécifiques entre le mutant tétraploïde Ttasy1-B et Ae. variabilis avec une hausse d’un facteur 3.75 des CO homéologues comparativement aux hybrides dérivés de l’individu sauvage. Cela suggère en plus que la protéine ASY1 supprime la formation de CO entre chromosomes apparentés. Ainsi, la manipulation du gène TaAsy1 pourrait être exploitée à la fois pour délocaliser les évènements de recombinaison vers les zones péri-centromériques où ils sont naturellement moins fréquents, mais aussi pour améliorer la recombinaison entre des chromosomes apparentés et ainsi introduire une diversité originale et intéressante pour des caractères d’intérêt agronomique à partir d’espèces sauvages voisines du blé (Projet MeMoiRE lien ; Thèse K MURRELL; collaboration C LAMBING, Rothamsted Research, UK ).

Figure 1 : Variation du nombre de crossovers en fonction de leur localisation sur les chromosomes chez la variété de blé dur Kronos (WT) et chez des mutants avec une (Ttasy1Aa) ou deux (Ttasy1a) copies A ou une (Ttasy1aB) ou deux (Ttasy1b-1 et Ttasy1b-2) copies B du gène TtAsy1 fonctionnelles. En gris les crossovers distaux (télomériques), en jaune ceux péri-centromériques, et en vert ceux proches du centromère.

 

[1] Di Dio et al. (2023) Front. Plant Sci. 14:1188347

 

 

Le statut allopolyploïde du blé lui confère un niveau supplémentaire de contrôle de la recombinaison qui empêche les échanges entre chromosomes apparentés (homéologues). Nous avons cloné Ph2, l’un des deux gènes qui contrôlent ce processus [1]. Pour ce faire, nous avons d’abord développé une série de 113 lignées de délétion pour le chromosome 3D [2]. Nous avons ainsi pu montrer que le gène était localisé dans un intervalle couvrant 14.3 Mb (Figure 1). Le séquençage de l’exome d’un mutant (ph2b) montre une mutation dans le gène TaMsh7-3D ce qui modifie l’épissage du gène et provoque l’apparition d’un codon stop prématurément générant une protéine tronquée. Nous avons isolé d’autres mutants EMS chez la variété Cadenza que nous avons croisés avec Ae. variabilis. Chez ces hybrides allo-haploïdes interspécifiques, la recombinaison homéologue est également augmentée d’un facteur 5.5, confirmant ainsi l’implication de la protéine MSH7-3D dans le contrôle de la recombinaison homéologue chez le blé.

Il existe une copie du gène TaMsh7 sur chacun des chromosomes 3A, 3B et 3D. De façon intéressante, la copie TaMsh7-3D est extrêmement conservée chez toutes les variétés (un seul allèle) alors que les copies des génomes 3A et 3B possèdent de nombreux variants alléliques (respectivement 12 et 30 polymorphismes trouvés dans une collection de 436 variétés) dont certains sont très vraisemblablement moins, voire non fonctionnels. La plus grande variabilité génétique à ces deux locus pourrait expliquer la différence d’efficacité qui permet de classer les trois copies (3DS > 3AS > 3BS).

La découverte de ce gène ouvre des perspectives pour son exploitation en sélection (Projet AmBrass lien ; Thèse C HAQUET lien ; collaboration G MOLERO KWS Momont lien https://www.momont.com/fr/) mais elle soulève d’autres questions, en particulier concernant le comportement ultérieur des introgressions issues d’espèces sauvages (Projet DeFI-Wheat lien ; Thèse L YAN lien).

Figure 1 : (a) Fréquence de crossovers chez des hybrides interspécifiques entre le seigle et des lignées portant une délétion terminale du chromosome 3D au locus Ph2. Les trois lignées avec des boîtes grise sont les contrôles (CS : Chinese Spring ; 5BL : lignée ditélosomique sans le bras long 5BL ; ph2a : mutant de délétion connu pour Ph2). La courbe verte représente la variation de taille (en mégabases, Mb) des délétions entre les différentes lignées. Chaque boîte représente la variabilité du nombre de crossovers (50 cellules comptées). (b) Photos de méiocytes de deux hybrides interspécifiques blé/seigle. Les appariements homéologues sont matérialisés par des ronds noirs.

[1] Serra et al. (2021) Nat. Commun. 12: 803

[2] Svačina et al. (2020) Front. Plant Sci. 10:1756